La manière classique d’aborder l’automatisation

On me questionne quotidiennement sur l’aspect anti-social, supposé ou réel, de l’automatisation et de la destruction des emplois qu’elle entraînerait. En effet, une tâche automatisée est une tâche de moins que l’homme a à faire. Le contre-argument classique est que l’automatisation décale les emplois vers d’autres tâches ou d’autres métiers. Cependant, l’intelligence humaine qui était le dernier bastion où l’homme surpassait la machine est, semble-t-il, en train de tomber. On ne voit plus très bien vers quels types d’emplois se décaler si la machine remplace l’homme sur toutes les tâches possibles. L’automatisation apparaît ainsi comme la cause du chômage de masse et de ses conséquences sociales.

Quelles sont les causes racines de l’automatisation ?

En fait, il totalement inapproprié de poser la question de l’Automatisation dans les termes précédents. Elle est nullement la cause racine de la disparition des emplois. Elle est un des instruments possibles de la recherche de la compétitivité et de la productivité dans le système économique actuel. La figure suivante présente de manière plus générale les causes et les effets :

On voit que les causes racines sont bien différentes de la simple disponibilité de technologies « automatisantes ». Ces causes sont simplement systémiques :

  • Quels sont les buts ultimes de la Société ?
  • Comment l’économie et la Société sont-elles organisées ?
  • Quels mécanismes économiques régissent la Société ?

L’automatisation est une conséquence de choix politiques et sociétaux.

Dans l’état actuel des choses, les entreprises recherchent la compétitivité et /ou productivité car l’économie est basée sur une concurrence mondiale et locale avec tout un ensemble de distorsions, d’avantages et d’inconvénients. L’automatisation peut alors être convoquée pour supporter ces choix politiques et mécanismes économiques. L’automatisation sert un système mais n’en est pas la cause. Il faut regarder du côté politique et non technologique.

Par contre, la réflexion politique de la réorganisation de la Société peut largement intégrer l’usage de la technologie et ses limites.

De nombreux facteurs, volontaires ou non, limiteront peut être la progression de l’automatisation. Une conférence célèbre nous apporte une perspective différente sur l’influence de l’automatisation sur l’emploi. Bien que se basant sur le passé, elle montre que des mécanismes d’évolution positive de l’emploi existent. Nous sommes toutefois incapables de les percevoir lorsque nous sommes dans l’action et la tourmente.

Face claire et obscure de l’automatisation

Même si l’on voit en ce moment principalement les cotés obscurs de la mécanisation (matérielle et logicielle), elle n’en est pas moins largement salutaire pour l’Homme. Peu de gens se plaignent de ne pouvoir être porteur d’eau ou d’être journalier agricole à ramasser les doryphores sur les plants de pommes de terre. De même, monter les parpaings à dos d’homme n’est pas une activité très saine pour la santé. Ainsi la mécanisation puis l’informatisation ont libéré l’homme occidental de tâches dures, dangereuses, inintéressantes ou inutiles. Mais au delà de cet effet direct, la mécanisation et la productivité agricole en particulier ont largement contribué à augmenter le niveau de vie. Une étude donne des éléments concrets de l’impact de la productivité agricole sur la réduction de pauvreté. Cette libération des forces humaines vers d’autres desseins est un des effets les plus salutaires de l’automatisation. Par le passé, les Sociétés qui ont su réorienter la valeur humaine libérée par l’automatisation vers des activités utiles et positives ont clairement amélioré leur niveau de vie et le sort de leurs membres. C’est ce que s’est passé lors de transition des Sociétés « agricoles » vers des Sociétés « industrielles », puis de « industrielles à tertiaires ». La nouvelle étape est devant nous.

Coté face obscure, le chômage immédiatement engendré par l’automatisation est l’effet négatif le plus visible avec sa cohorte de souffrances induites telles que la déstabilisation des foyers, les reconversions difficiles, la mobilité géographique subie…

L’automatisation est également très énergivore et Google estime que 1000 recherches sur son système émet autant de CO2 qu’une voiture sur 1 km parcouru. A 47.000 requêtes à la seconde, Google émet environ 15 millions de tonnes de CO2 par an. La croissance de l’énergie et des émissions annuelles d’Internet atteint le même niveau que toute l’industrie du transport aérien.

Facteurs incitatifs et limitants de l’Automatisation dans le futur

Les 19e et 20e siècles ont réuni les facteurs propices à l’automatisation

Les 19e et 20e siècles ont été marqués par le coût économique réduit de l’énergie. Le coût humain étant une autre affaire (conditions de travail très difficiles, exploitation des enfants…) L’énergie peu chère a permis de faire fonctionner des machines, qui ont remplacé l’homme dans les travaux de force. Il a pu alors s’éduquer et développer des technologies. Ces dernières l’aident à créer de nouvelles machines qui travaillent pour lui, mais en consommant toujours plus d’énergie. D’abord les machines à vapeur, puis, les moteurs à pétrole, la fission, peut être bientôt la fusion… Le niveau de vie s’est alors élevé progressivement. La mécanique générale de la hausse du niveau de vie peut se représenter comme ci-dessous :

Ce cycle a perduré depuis la première révolution industrielle. Peut-il continuer ?

Le 21e siècle sera-t-il aussi propice à l’automatisation ?

De multiples facteurs

De multiples facteurs influencent l’adoption ou le rejet de l’automatisation. Nous en identifions ici quelques uns :

Propice à l’automatisation Défavorable à l’automatisation
Coût élevé du travail humain La rareté et le prix de l’énergie
Croissance démographique La pollution « électronique »
Le progrès de l’IA et du logiciel Le refus social et le retour au manuel
Le rebond de l’emploi La croissance du chômage
  La taxe Robot

La rareté et le prix de l’énergie

L’automatisation est d’abord vorace en énergie et n’est pas résiliente à la coupure de son alimentation. L’approvisionnement à long terme en énergie non polluante reste un défi non relevé. Une élévation très importante du coût de l’énergie remettrait probablement en cause bon nombre de processus automatisés pour revenir à des activités plus « manuelles » finalement moins chères et plus résilientes. Mais ceci n’est que très peu probable dans le moyen terme car les réserves pétrolières restent importantes et pourront alimenter l’humanité pendant encore 30 à 40 ans. On peut cependant s’inquiéter de la réduction possible de la production d’énergie pour des motifs environnementaux. En confrontation avec la croissance de la consommation, les black-outs deviendront plus fréquents. Un marché de cogénération d’électricité va alors se développer, ce qui est d’ailleurs un non-sens écologique à cause du faible rendement des générateurs de petite taille. Toutefois sans changement majeur de politique énergétique, l’Entreprise Autonome dans la perspective de 2030 ne sera que peu impactée par ce risque.

La pollution « électronique »

L’automatisation est en elle-même une activité polluante. En effet, elle utilise des équipements électroniques, peu recyclables et grands consommateurs de terres et métaux rares. De plus l’Intelligence Artificielle et les logiciels cognitifs consomment de plus en plus de puissance de calcul et de stockage de données. 20 milliards de disques SSD 1TO seront nécessaires pour stocker les données qui seront produites jusqu’en 2025. De plus, quelques 100 millions de machines hôtes seront nécessaires à ces équipements. En ajoutant un PC par habitant de la planète soit 9 milliards d’écrans et de machines à ajouter. Cela est-il possible ? Les produire le sera très probablement mais dans un contexte de pollution et de raréfaction des matières premières. Il y a toutefois de nouveaux gisements potentiels de métaux rares et certains progrès dans le recyclage des équipements électroniques. Un enchérissement des prix du matériel est clairement possible, mais il est difficile de dire s’il modifiera l’équilibre économique de l’automatisation.

Le refus social et le retour au manuel

Une évolution majeure serait de renoncer à l’automatisation (au moins dans certains secteurs) par choix politique tout en menant une réorganisation profonde de la Société. En se plaçant dans une telle perspective « révolutionnaire » ont pourrait adopter des principes de fonctionnement radicalement innovants, rétrogrades ou hautement liberticides suivant les points de vue ! Ils affecteraient les aspects sociaux, l’emploi, l’environnement et le confort de vie. A titre d’exemple on pourrait adopter de tels principes :

  • La vie et la production agricole est locale
  • Le travail est d’autant plus rémunéré qu’il est moins polluant
  • La connaissance est globale, le matériel est local
  • L’école redevient un système méritocratique
  • L’énergie est une ressource collective allouée démocratiquement aux usages

Toutefois ce type d’approche semble assez marginal, car on observe que sur le plan du principe le consommateur est d’accord pour la révolution tant qu’elle n’affecte pas son niveau de vie. Ainsi, il est en général d’accord pour une agriculture locale et biologique. Mais quand le prix est trop élevé, il se tourne vers les produits moins chers sans se soucier réellement de l’empreinte écologique associée. Les récents mouvements de contestation ont montré une volonté de pouvoir continuer à consommer sans réellement afficher une volonté de changement profond de la Société. Nous pensons que le renoncement à l’automatisation par choix politique est peut probable dans le moyen terme.

La croissance du chômage

Comme vu précédemment l’Automatisation n’est pas la cause racine du chômage mais un outil de compétitivité et de productivité. Le chômage est principalement induit par des différences de coût du travail entre pays compétiteurs et le manque de main d’œuvre suffisamment formée. Sujets sur lesquels il ne se passe pas grand chose ! Le traitement social par les aides financières permet d’amortir les phases de transition mais ne règle en rien les sujets de fond.

Seuls des changements radicaux pourront modifier la structure de l’emploi et de la Société. Probablement repenser complètement l’activité humaine non plus comme agent économique mais comme agent social, disposer de nourriture à prix zéro, bref concevoir une société où l’emploi n’est plus vraiment le sujet car l’automatisation change totalement le rapport au travail, à la valeur produite et à son partage. L’automatisation passe alors d’un statut d’outil de compétitivité à un statut d’outil transformatif qui devient central dans le fonctionnement de la société. Mais accélérer le mouvement dans ce sens est une opération à haut risque. On préfère continuer sur la trajectoire actuelle qui s’appuie sur la capacité d’endettement sans fin des États, offrant un traitement symptomatique durable du chômage de masse. Il est probable que cette situation perdure jusqu’en 2030.

La taxe Robot

La taxe robot consiste à taxer les robots comme on taxe le travail humain. Ceci a donné lieu à de nombreux débats, surtout en France, pays déjà très largement sous-robotisé par rapport à ses compétiteurs. En effet taxer les robots pourrait freiner les gains de productivité et donc le niveau de vie en France. La Taxe Robot reste une idée intéressante sur le principe, surtout en phase de robotisation massive où il est nécessaire de financer la formation du personnel à de nouveaux métiers. Au delà de cette mesure se profile le statut du robot dans la société. Pour l’instant les taxes robots ont été écartées par la politique européenne mais des perturbations sur les marchés financiers (hausse des taux d’intérêt) pourraient pousser à son adoption. Elle ne constitue donc pas une menace dans le court terme, et peut même constituer une opportunité si les fonds récoltés sont réinvestis efficacement en formation des humains.

Le coût du travail humain

La mise en compétition de l’homme et du robot (matériel ou logiciel) sur le plan du coût horaire révèle un handicap certain côté humain car lorsqu’un homme travaille 35 heures en une semaine, le robot lui travaille 168 heures, soit un rapport de 4,8. Toutefois l’expérience montre que tous les projets d’informatisation et d’automatisation ne sont pas rentables. Le coût de la conception et de l’exploitation peuvent être excessifs. Dans une entreprise industrielle classique un ratio de 3% du CA investi dans l’informatique est courant. Mais pour une Entreprise Autonome, il faut plutôt compter 15 à 25 %. De nombreuses Entreprises Autonomes telles que Uber n’arrivent pas à l’équilibre financier à causes d’investissements très lourds notamment mais pas uniquement en traitements automatisés. La valorisation boursière d’Uber tient du pari que la voiture autonome permettra de réduire le coût du personnel à terme. On voir donc apparaître des stratégies de développement en deux étapes : 1 – création du business non rentable avec de la main-d’œuvre humaine, puis,  en cible 2 – le remplacement de la main- d’œuvre par de l’automatisation apportant alors la rentabilité.

Structures de coûts
Automatisation : Postes de coût Travail humain : Postes de coût
Développement logiciel Salaire
Matériel (serveurs,réseau…) Charges sociales
Énergie consommée par heure Formation
  Outils matériels & logiciels

Prenons l’exemple d’une opération de saisie de formulaire dans un centre d’appel pour clientèle où le coût horaire  humain chargé est de 10 €/heure (SMIC). Pour faire fonctionner une IA de Relation cliente de ce style, il faut disposer d’une infrastructure informatique et de logiciels payés au temps consommé. En se basant sur 1 serveur haut de gamme avec GPU, stockage redondant de 10 TO on paie environ 5 €/h logiciel compris. Le prix de l’énergie étant  de 25 % du total, on voit qu’il faudrait multiplier le prix de l’énergie par 4 à 5 pour que le travail humain redevienne compétitif. Ce scénario de hausse s’est produit durant les chocs pétroliers ; il a endommagé l’économie mais nullement créé des emplois de remplacement au machinisme dans les pays développés. On peut donc penser que vu les réserves pétrolières disponibles jusqu’en 2030, même avec un forte hausse du prix de l’énergie, l’Automatisation surpassera toujours le coût du travail humain.

Croissance démographique

On pourrait penser que la croissance démographique fait baisser le coût horaire du travail humain à cause de l’offre. C’est parfois vrai, mais la demande est également plus forte. De plus, la croissance démographique ne signifie pas que le personnel disponible est formé et compétent. Différentes études ont peine à établir une relation évidente entre croissance démographique et chômage tant le nombre de facteurs se compensant mutuellement est important. De notre point de vue, cette variable aurait plutôt tendance à augmenter le besoin de productivité pour satisfaire la demande mondiale avec plus de volume produit à plus faible coût. L’automatisation devrait probablement bénéficier de cette situation du moins en occident.

Le progrès de l’IA et du logiciel

Les innovations et les découvertes scientifiques remodèlent la Société de manière totalement imprévisible comme le passé nous l’a montré constamment. Les domaines de la biologie moléculaire, des matériaux, de la physique atomique et l’informatique quantique sont les plus visibles actuellement. Toutefois dans les 10 ans qui viennent, il n’est pas difficile de deviner que l’Intelligence artificielle va progresser à pas de géant.

La première technologie qui substituera la machine à l’homme est le traitement du langage naturel. C’est par ce point d’entrée qu’est déclenché la mécanique du raisonnement et des travaux cognitifs. L’idée de disposer d’une machine au comportement cognitif humain n’est pas nouvelle et a été exprimée sous forme de test par Turing. En maîtrisant le traitement sémantique du texte, puis en adjoignant un raisonneur on pourra réaliser des traitements complexes jusqu’ici réservés aux humains.

Mais ceci n’est peut être qu’une vue ancienne ou limitée de ce qui arrivera réellement : repenser et construire des machines dont les capacités ne sont pas calquées sur l’humain mais sur des paradigmes totalement nouveaux et inconnus aujourd’hui. L’échange homme-machine devenant alors totalement fluide et passant le test de Turing sans conteste. En matière d’automatisation, le logiciel lui-même sera de plus en plus assisté dans sa conception permettant un croissance exponentielle du parc applicatif. Les perspectives actuelles laissent donc envisager une croissance très rapide de l’automatisation dans l’entreprise.

Le rebond de l’emploi

Le scénario du rebond de l’emploi par la transformation des activités et des métiers est toujours possible. En 1929 personne n’a imaginé l’industrie du logiciel et des données, ses métiers, son importance dans l’économie actuelle. Il est possible et nous espérons probable que nous soyons aveugles à monde plein de nouvelles possibilités impensables, inimaginables aujourd’hui. Le génie humain reste bien présent et nous restons optimiste sur l’avenir même si les adaptations et évolutions sont et seront difficiles.

Conclusion

L’adoption ou le rejet de l’automatisation est donc la conséquence de multiples facteurs économiques, politiques, technologiques, environnementaux et énergétiques. Notre analyse montre de nombreux freins dont les effets nous apparaissent finalement lents ou lointains. L’avantage économique de l’automatisation semble bien ancré dans le fonctionnement de l’économie mondiale. Une refondation de la Société dans ses traits les plus fondamentaux pourrait changer la donne. L’avenir parlera.

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